Etats dames

 

La sculpture en terre joue avec la lumière et propose ainsi parfois un autre visage à celui qui la regarde. Elle vit dans l'espace. Comme une femme.

Il y a trente ans, j’ai découpé dans un magazine la reproduction d’une photographie en noir et blanc. Un visage masculin, de profil . J’ai été happée par cette beauté dégagée, cette sensualité, l’ourlet de la bouche, les ombres, les lumières …. Ce visage me créait une émotion que je n’arrivais pas à exprimer. Regarder cette photo me donnait l’immense désir de sculpter !

J’ai donc pris de la terre et ai tenté de modeler ce visage. Puis d’autres, avec maladresse. Ensuite, j’ai arrêté , sans doute par peur, un curieux sentiment d’illégitimité. Mais, j’ai conservé cette photographie comme un trésor toutes ces années, sans chercher à connaître son origine. Je l’ai gardée simplement parce qu’elle me communiquait la soif de sculpter. J’avais tout un travail à faire sur moi-même pour me dépasser, oser et me mettre à travailler.

Ce que j’ai commencé à faire beaucoup plus tard.

Puis, un jour, dans une librairie j’ai été attirée par un ouvrage sur Robert Mapplethorpe. J’y ai fait deux découvertes. Une citation : « Si j’étais né il y a 100 ou 200 ans, j’aurais sans doute été sculpteur mais la photographie est une façon rapide de regarder, de créer une sculpture. » Et un modèle du photographe dans les années 80 : Ken Moody. Le visage mis de côté depuis si longtemps était donc celui de Ken Moody. Cette œuvre qui m’avait tant émue et portée vers la sculpture fut réalisée par un artiste qui n’avait eu de cesse de sculpter les corps à travers son objectif. Tout à coup m’apparaissait le lien qui m’unissait à elle. Ainsi que la raison de mon insatiable passion pour la peinture de Fra Angelico. J’aime y contempler la délicatesse des traits des personnages, la douceur de leurs attitudes. Je me retrouve dans cette profonde sérénité où le peintre a poussé le plus loin possible l’expressivité avec une réelle élégance. 

Alors voilà, je cherche à capter dans le visage des femmes, au gré de leurs états d’âmes, cette sorte de fixité vibrionnante et à l’immortaliser dans une sculpture. Un mouvement de cil, un coin de bouche relevé, la naissance d’une ride, l’inclinaison de la tête bouleversent un visage et lui donnent toute sa particularité, sa beauté.

Regarder, regarder encore afin de saisir ce qui rend chaque expression unique. Chercher aussi au fond de moi ce qui a pu m’émouvoir.

Je suis parfois subjuguée par la façon dont quelqu’un bouge les lèvres, par la forme particulière d’une
pommette…toutes ces subtilités, parfois à peine perceptibles, qui rendent un visage unique et émouvant.

Une sculpture en terre permet par son toucher et son travail particulier de retrouver la caresse, l’élasticité et le
grain de la peau, sentir les pommettes, l’arête du nez, la rondeur d’une lèvre.. Creuser, lisser, rajouter de la terre, travailler jusqu’au moment où le visage est « là» pour moi.

Je prends plaisir à m’arrêter sur la forme et le renflement de la paupière pour tel visage. Pour tel autre, la lèvre
inférieure et le petit creux situé juste en dessous. Travailler longuement l’élément qui leur donne force et identité .
Partir d’une masse informe, agréable au toucher, sensuelle, pour aller vers la création d’un visage m’offre un réel
bonheur.

J’ai enfin osé et j’en suis comblée. 

Isabelle Verdez, 2015

N’hésitez pas à me contacter par mail pour plus d’informations : isabelleverdez@free.fr